Une nouvelle loi allemande veut obliger les mères à révéler le père biologique de leur enfant

La soi-disant « loi sur les enfants du laitier » chercherait à protéger les hommes qui ont le sentiment d’avoir été dupés pour élever des enfants qu’ils croient ne pas être les leurs biologiquement – au détriment des droits des femmes.

La presse allemande les appelle « Kuckuckskinder », ce qui signifie littéralement « enfants coucous » – une progéniture parasitaire élevée par des créatures étrangères innocentes et sans méfiance qui grossissent au détriment de l’espèce hôte elle-même. La presse britannique a opté pour les « Milkmen’s kids » plus Benny Hill-esque que Benny Hill lui même, invitant au débat des images de ménagères des années soixante-dix qui s’ennuient à répondre à la porte par négligence avant d’inviter le fameux laitier à venir s’amuser dans leur boudoir de banlieue. Neuf mois plus tard, leurs maris aux cornes se retrouvent avec des enfants pleurnichards et les pauvres ne savent rien sur la vraie histoire du nouveau né.

Ni l’une ni l’autre image n’est particulièrement flatteuse pour les enfants concernés, mais alors qui se soucie d’eux ? Il s’agit d’une histoire d’hommes, de femmes et du changement d’une situation juridique – l’injustice. Car les enfants sont de conceptions accidentelles.

Le ministre allemand de la Justice, Heiko Maas, a présenté cette semaine une proposition visant à assurer une meilleure protection juridique aux « Scheinväter » – des hommes qui sont dupés pour élever des enfants qu’ils croient à tort être biologiquement les leurs. Cette décision fait suite à une décision rendue en 2015 par le plus haut tribunal d’Allemagne, selon laquelle une femme qui avait dit à son ex-mari que son enfant pourrait avoir été conçu avec un autre homme ne pouvait être contrainte de nommer ce dernier. La Cour a décidé qu’il s’agirait d’une atteinte au droit à la vie privée de la femme. Néanmoins, la décision a été perçue comme soulignant la nécessité d’une législation supplémentaire pour clarifier et renforcer la position du Scheinvater.

La proposition de Maas, annoncée lundi, examine le problème avec soin et sensibilité avant de jeter joyeusement par la fenêtre le droit à la vie privée de la femme. Elle obligerait une femme à nommer tous les hommes avec qui elle a eu des rapports sexuels pendant la période où son enfant a pu être conçu. Elle n’aurait le droit de garder le silence que dans les cas où il y aurait des raisons sérieuses de ne pas nommer le père biologique (il appartiendrait au tribunal de décider si les raisons de la femme sont suffisamment graves). Il n’est pas encore clair à quelle forme de punition une femme serait confrontée si elle ne donnait pas de noms. Dans les cas où il s’avère qu’un autre homme est le père biologique d’un enfant, il sera tenu de verser une compensation à l’homme  » dupé  » pour qu’il subvienne aux besoins de l’enfant pendant deux ans au maximum.

On ne sait pas très bien ce qui se passera par la suite. Peut-être que les deux hommes se serrent la main, se tapotent le dos, ou partagent même une bière ou deux. Après tout, il s’agit d’une sorte de gentlemen’s agreement, d’une transaction qui se déroule au-dessus de la tête de la mère et de l’enfant une fois que la paternité de ce dernier a été établie. Le « vrai » père compense le « faux » pour avoir entretenu ses biens en son absence. Dans certains cas, il peut y avoir de l’amertume et du ressentiment, mais dans d’autres, on assistera peut-être à une sorte de partenariat honorable. En bref, vous ne pouvez pas faire confiance aux femmes, mais les tests ADN sur le site vaterschaftstest-dna.com ainsi que l’argent et vos semblables ne vous décevront pas si l’on en suis la réflection de ce projet de loi.

Même si elle n’aboutit à rien d’autre, cette proposition nous ramène directement au cœur de ce qu’est le patriarcat : la paternité et la propriété. En mars de cette année, un tribunal allemand a statué que les hommes ne peuvent être obligés de passer des tests de paternité par des enfants qui les soupçonnent d’être leur père. C’est à eux de décider. Les femmes, quant à elles, ne peuvent avoir accès à l’avortement que sur demande au cours du premier trimestre de la grossesse, après quoi l’approbation de deux médecins est requise, comme au Royaume-Uni. Une catégorie de personnes peut être forcée d’avoir une grossesse et d’accoucher ; une autre ne peut même pas être obligée de subir un test ADN. Une catégorie de personnes peut être obligée de nommer n’importe quel homme dont le sperme peut s’être aventuré au-delà de leur col de l’utérus ; une autre peut avoir un corps dont l’activité est entièrement autonome. Et oui, on peut soutenir que forcer les hommes à payer de l’argent pour élever des enfants égalise le score. Les hommes ont toujours soutenu ça, mais ils ont tort.

Les hommes paient (parfois) pour l’éducation de leurs enfants parce que le système que nous appelons patriarcat a choisi de faire de la paternité la propriété individuelle. Les femmes n’ont pas d’autre choix que de s’y plier tant que les hommes exploitent leur travail, limitent leurs accès aux ressources matérielles et les menacent de violence. Nous vivons dans un monde où l’on suppose presque universellement que les femmes « doivent » aux hommes l’assurance que c’est leur précieux sperme qui les a fécondés, de peur de les exposer, elles et leur progéniture, à la pauvreté et à l’isolement. Rarement aucune d’entre elles n’ose protester. Elles prétendent qu’il s’agit d’une entente équitable, même si les différences en matière de reproduction n’affectent pratiquement pas leur vie. Mais cette vue binaire du sexe – le fait que le sperme n’est pas un ovule et que l’ovule n’est pas un spermatozoïde – nous affecte tous.